- 32 -
Éviter avec le plus grand soin de se porter à un abri les uns après les autres, soit en courant, soit en rampant, lorsqu'on peut être aperçu par l'ennemi. Le premier passe, mais le second reste en route.
Emploi du sac à terre au cours de la progression.
Parfois on est séparé de l'ennemi par une grande étendue de terrain découvert, Il est difficile, dans ce cas, de se poster à petite distance de l'adversaire pour préparer l'assaut ; tout homme qui reste immobile en terrain découvert est mis rapidement hors de combat. On remplit alors son sac à terre avant de quitter le dernier abri, en mettant quelques pierres au milieu de la terre pour mieux arrêter les balles. Le sac à terre, porté sous le bras gauche pendant la course, offrira Pendant l'arrêt un premier abri qu'il sera facile de compléter.
Les tirailleurs d'Ypres (7 novembre 1914).
Le 7 novembre 1914, notre ligne d'attaque s'était arrêtée à 300 mètres des tranchées allemandes, d'où partait un feu redoutable et précis. Les nôtres s'entassaient pêle-mêle dans les trous d'obus et les vieilles tranchées ; décimés, ils répondaient mal au feu de l'adversaire, tiraient en l'air du fond des abris, et nos halles maladroites se bornaient à casser les branches des saules au-dessus des Bavarois.
Deux tirailleurs avaient réussi à se loger en avant de la ligne dans un trou d'obus. L'un d'eux s'installe pour tirer de flanc ; il pratique tout doucement un créneau de biais dans les terres qui bordent l'excavation, sans modifier l'aspect du trou d'obus afin de ne pas attirer l'attention de l'ennemi. Puis il prend le point de son fusil et se met à guetter. Il repère bientôt un adversaire tout à fait à sa droite et met en joue sur l'endroit où il a disparu, et attend. Chaque fois que l'ennemi se montre, un coup de feu rapide et précis : ainsi le tirailleur passe successivement en revue, de la droite à la gauche, toutes les têtes qui paraissent. Les Bavarois ne
- 33 -
peuvent comprendre d'où viennent ces balles. Ils redoublent d'acharnement sur les abris où s'entasse notre ligne ; puis, rendus plus prudents, ils ôtent leur casque, ne montrent plus que le coin de l'œil dans une rapide apparition souvent encore trop longue. A leur tour, ils cassent les branches des arbres au-dessus des Français, leur feu se ralentit, enfin s'éteint complètement.
Pendant ce temps, les deux tirailleurs, alternant pour le travail et le tir, ont agrandi leur trou et deux hommes ont pu les rejoindre ; l'amorce de tranchée est activement continuée. Enfin, quand l'abri est assez grand, un groupe de gradés et d'une quinzaine d'hommes rejoint d'un bond.
En face, le feu de la tranchée allemande, après quelques essais de riposte vite enrayés, paraît éteint ; le silence s'étend peu à peu sur ce coin du champ de bataille, une trêve s'établit.
Vers midi, soudain le groupe se dresse ; en deux bonds, à toutes jambes, en plein terrain découvert, il atteint, à trente mètres de l'ennemi, une ligne de vieux abris français abandonnés. Les Allemands, surpris, n'ont tiré qu'au dernier moment : deux hommes sont blessés. Toute la journée, ce faible groupe réussit à se maintenir à courte distance des Bavarois, qui n'osent les chasser : un seul blessé.
A la nuit, sous la protection de ce groupe, toute la compagnie se glisse en avant ; on creuse silencieusement, le fusil à côté de soi, baïonnette au canon. Quand le jour vint, les Allemands furieux purent voir toute une tranchée qui s'était creusée à leur nez, et les pointes de baïonnettes qui dépassaient.
Voilà ce que permirent de faire, presque sans pertes, dans des circonstances critiques où la plupart avaient perdu la tête et ne se défendaient plus, l'audace et l'adresse de deux, tirailleurs d'abord, puis d'un petit groupe.