ALSACE ! Ne symbolisait-elle pas depuis 1871 la victoire de la force brutale sur le droit ? Pas un pacifiste, en France, n'avait osé pousser sa passion de l'internationalisme jusqu'au renonce-ment à la libération des provinces asservies. La guerre, qui se déchaînait, parut à tous l'occasion de la délivrance.
De ce côté de la frontière se trouvaient nos principaux ouvrages de défense, notre meilleur armement, nos troupes les plus résistantes. La cuirasse de la France était là vraiment solide. Notre Haut Commandement était en plein accord avec l'opinion publique en considérant cette frontière et celle de Lorraine comme le principal front de bataille.
Et, plus tard, lorsque la principale attaque allemande s'affirma par la Belgique, l'État-major français estima utile de prendre l'offensive en Alsace-Lorraine, afin de retenir le plus de forces ennemies possible sur notre frontière de l'Est.
Le premier acte de l'offensive française fut donc un retour en Alsace. Retour en deux temps, puisque la première incursion, tentée avec de faibles effectifs, fut suivie d'une retraite précipitée. La seconde opération était mieux
conduite ; mais elle devait être arrêtée par suite de la situation générale sur tout le front de l'immense bataille.
Le front d'Alsace a pu passer pour un front secondaire, au point de vue stratégique. Mais il présenta, durant toute la guerre,un véritable intérêt moral : l'Alsace - Lorraine était l'enjeu du conflit tragique, et la bataille était portée là en dehors de nos frontières.
L'Alsace est située tout entière sur la rive gauche du Rhin ; ce fleuve est le fossé naturel, creusé entre deux races depuis les temps les plus reculés, entre les Vosges et la Forêt Noire.
LE HONNECK
Au sud des Vosges, la trouée de Belfort, qui sépare ce massif montagneux du massif du Jura, constitue une large dépression où coulent les affluents du Doubs et de l'Ill. C'est la fameuse Porte de Bourgogne, chemin des grandes invasions. La confédération helvétique en limite l'accès, dans la mesure où, la neutralité suisse peut être respectée.
Immédiatement au nord de cette zone, les Vosges s'élèvent brusquement. Leurs flancs sont escarpés et couverts de forêts sur le versant alsacien. Mais elles descendent vers la Lorraine par des pentes plus douces, où s'étagent des terrains de culture.
Le point culminant, au Grand Ballon, atteint 1 424 mètres ; et les altitudes de 1 366 mètres au Hohneck, ou de 1 250 mètres au Ballon d'Alsace, ne donnent pas une idée suffisante de ce pays véritablement montagneux. De merveilleux observatoires dominent d'immenses étendues
Au-dessous de 1 200 mètres, la forêt de sapins sombres revêt la montagne. On y trouve aussi de magnifiques hêtraies. Une brume intense voile souvent les cimes. Après les pluies diluviennes d'automne tombent des neiges abondantes, prélude des nuits glaciales d'hiver.
Des cours d'eau bruyants et rapides ont creusé dans
cette région un double réseau d'étroites vallées transversales et longitudinales, qu'empruntent les routes et les chemins conduisant de Lorraine en Alsace.
La Doller, rivière de Massevaux ; la Thur venue du Rheinkopf, par Cernay et par Thann, où elle se divise en deux branches qui vont se jeter dans ; la Lauch, rivière de Guebwiller ; la Fecht, rivière de Munster ; la Lieporette, rivière de Sainte-Marie-aux-Mines, suivent ainsi, des Vosges au Rhin, la direction générale du Sud-Ouest au Nord-Est. Sur le versant opposé, la Moselle, rivière d'Épinal ; la Moselotte ; la Vologne, rivière de Gérardmer ; et la Meurthe, rivière de Saint-Dié, coulent vers le Nord-Ouest.
Le secteur des Vosges méridionales, très boisé et d'accès impraticable en dehors des couloirs creusés par ces vallées, est coupé d'une série de cols, dont les principaux sont, du Sud au Nord, ceux de Saint-Maurice et d'Oderen, ceux de Bussang à Saint-Amarin, de Kruth à Cornimont et à La Bresse, ceux de la Schlucht (1 150 mètres d'altitude) de Gérardmer à Munster et Colmar, du Louchpach, et enfin du Bonhomme (949 mètres d'altitude) qu'emprunte la route de Colmar à Saint-Dié. Les rivières transversales des Vosges alsaciennes aboutissent à l'Ill, affluent principal et quasi parallèle au Rhin.
La région méridionale de la Haute-Alsace continue, par la trouée de Belfort, la plaine française de la Saône. C'est le Sundgau, que longe au nord la route de Colmar à Burnhaupt-le-Haut, et qui apparaît à l'armée française com- me le verrou fermant la Porte de Bourgogne.
VUE GÉNÉRALE DE MUNSTER
Nos troupes de couverture : 152e régiment d'infanterie de Gérardmer, 5e et 25e bataillons de chasseurs de Remiremont et Bussang, 170e et 149e régiments d'infanterie d'Épinal, 20e bataillon de chasseurs de Baccarat, garnisons de Rambervilliers et de Saint-Dié, devaient d'autant mieux interdire le passage aux forces ennemies, qu'elles s'appuy-
aient sur les camps retranchés de Belfort et d'Épinal, et sur les forts de la Haute-Moselle. Nos troupes pouvaient descendre dans la plaine d'Alsace, à condition de tenir fortement les cols vosgiens ; cependant l'ennemi occupait des contreforts et des pics d'où il pouvait rendre notre marche particulièrement difficile.
LA PREMIÈRE OFFENSIVE
Il n'entrait ni dans le plan stratégique, ni dans les intérêts tactiques de l'armée allemande, de porter la guerre sur la frontière alsacienne.
Il apparut utile au Commandement français d'accrocher sur ce front la gauche ennemie, et de prendre dans la plaine d'Alsace, dès le début des opérations, une position qui nous assurât le débouché des Vosges sur un large front.
Notre plan de campagne prévoyait donc une offensive qui flanquerait, à droite, le mouvement général de nos armées, avec des forces dont la mission serait de pénétrer brusquement en Alsace par le Sud, de se porter en hâte sur Colmar et Schlestadt, de détruire les ponts du Rhin, et de masquer Neuf-Brisach. Ultérieurement et successivement, les unités appartenant au 1er groupe de divisions d'infanterie de réserve et les divisions de réserve des Alpes devaient garder la Haute-Alsace et investir Strasbourg.
Depuis le 2 août, l'état-major allemand avait concentré, de la Suisse à la Fecht, son XIVe Corps d'Armée, et de la Fecht au Donon son XVe. Le commandant de ces troupes, le général von Deimling, fameux « mangeur d'Alsaciens » opérait sur un terrain qui lui était familier.
Nos premières patrouilles, notamment celle du 11e Dragons, avaient convaincu notre État-major que les effectifs allemands étaient de peu d'importance entre la frontière et Mulhouse. Le gros des forces ennemies campait sur la rive droite du Rhin. II fut décidé que nous prendrions immédiatement l'offensive pour rejeter en arrière ces effectifs et nous rendre maître des ponts sur le Rhin.
Un détachement d'armée fut organisé et placé sous les ordres du général Bonneau. Ce détachement comprenait le 7e Corp d'Armée, la 8e division de cavalerie, une brigade d'infanterie et une batterie attelée de 155 court, empruntées à la garnison de Belfort. Cette brigade fut formée en hâte par les 371e et 37e régiments d'infanterie, qui furent respectivement complétés par un bataillon actif du 171e et du 17e régiment d'infanterie. La batterie fut prélevée sur le 9e régiment d'artillerie à pied. Le colonel Quais, commandant cette brigade, rejoignit le 6 août la 14e division du général Curé, qui faisait partie du détachement d'armée du général Bonneau, détachement dont l'effectif total était
de 19 000 hommes.
LES VOSGES ET LA HAUTE ALSACE
L'ordre d'offensive parvint le 6 août. Il fut exécuté le 7 au matin. Le général Bonneau devait d'abord s'emparer du front Thann - Mulhouse, ensuite atteindre le Rhin par sa droite, en couper les ponts, puis se porter sur Colmar.
L'armée d'attaque fut divisée en trois colonnes :
A. - A droite, la 27e brigade d'infanterie (44e et 60e régiments d'infanterie) appuyée par les 2e et 3e groupes du 47e régiment d'artillerie et la 8e brigade de dragons, devait se porter par la trouée de Belfort sur Dannemarie et Altkirch.
B. - Au centre, la 14e division brigade Quais, et 28e brigade (4e et 35e régiments d'infanterie) qu'appuyait le 1er groupe du 47e régiment d'artillerie, devait marcher sur Cernay.
C. - A gauche, la 41e division du général Superbie, éclairée par le 15e bataillon de chasseurs, composée de beaux régiments d'infanterie comme les 133e, 23e et 15e, appuyée par les batteries du 4e régiment d'artillerie de montagne, devait se porter sur Thann par le col d'Oderen et la vallée de la Thur.
Le front d'attaque d'Altkirch à Thann couvrait une étendue de 24 kilomètres.
Le général Bonneau, dans le mouvement de conversion qu'il devait décrire autour de Thann pour se redresser le long du Rhin, allait se heurter à des forces égales en nombre, mais retranchées, dont les contre-attaques risquaient de menacer son flanc droit.
Les colonnes de gauche et du centre progressèrent assez facilement. A gauche, la 41e division descendit sans désemparer la vallée de la Thur dans les journées des 6 et 7 août. Le 15e bataillon de chasseurs, sous les ordres du commandant Duchet, bousculait les patrouilles ennemies et traversait rapidement Urbès, Wesserling, Saint-Amarin, véritables étapes de la « Terre Promise », pour s'installer dans le village de Moosch. Le 7 août, Willer et Bitschwiller étaient dépassés par les fantassins du 133e et du 23e ; et dès quatre heures de l'après-midi nous pénétrions dans Thann, d'où le général von Deimling se retirait précipi- tamment. La population enthousiaste fit fête aux chasseurs du 15e bataillon et aux fantassins de la 41e division.
Les pointes d'avant-garde des chasseurs furent alors lancées vers Cernay, et dès le lendemain le 15e bataillon s'établissait à Reiningen, à 4 kilomètres de Mulhouse.
Au centre, la 14e division franchissait le 6 août la frontière ; les fantassins du 35e et du 4e, appuyés par le feu des batteries du 47e régiment d'artillerie, progressaient malgré les mitrailleuses, bousculaient l'ennemi au pont d'Aspach dans la journée du 7, et le 35e régiment d'infanterie enlevait brillamment Burnhaupt-le-Bas. La division occupait alors le front Aspach - Pont-d'Aspach - Burnhaupt - Ammertzwiller.
A droite, la 8e division de cavalerie, qui devait couvrir le flanc vulnérable de notre attaque, avait lié son mouvement à celui de la 14e division. La frontière étant franchie le 7 août à six heures, le 11e Dragons, à l'avant-garde, se portait vers Altkirch. Une brigade allemande, pourvue d'artillerie, défendait la place. Les nôtres pénétrèrent dans Altkirch malgré la vive fusillade qui partait des maisons. Mais ils ne purent dépasser la gare ; nos escadrons durent se replier sous le couvert des bois. L'artillerie allemande leur causa quelques pertes. Le colonel du 11e Dragons fut grièvement blessé, le capitaine Dérémetz fut tué. A la faveur de l'obscurité, l'ennemi évacua la place. La prise d'Alkirch nous coûtait une centaine de tués et blessés. Mais notre 14e division y entrait le soir même, triomphalement.
Au matin du 8 août, la 14e division reçut l'ordre de poursuivre sa marche sur Mulhouse, la 41e division devant
s'avancer, à gauche, jusqu'à Lutterbach. Les 44e et 60e régiments d'infanterie restaient à Altkirch.
Vers midi, la 14e division se forma en deux colonnes, convergeant sur Mulhouse. Les patrouilles ennemies fuyaient devant nous ; des équipements abandonnés jon- chaient les routes. Les derniers soldats allemands quittaient Mulhouse quand nous arrivions aux portes de la ville. Le 18e Dragons ne trouvait pas un uniforme ennemi dans la place. Le général Curé envoya une forte avant-garde prendre position au-delà de la ville, entre Modenheim et Rixheim ; puis il fit son entrée dans Mulhouse, musique en tête, drapeaux déployés. La population couvrit de fleurs nos soldats.
Pendant ce temps, le général Bonneau s'installait à Niedermorschwiller.
La prise de Mulhouse, vaste centre industriel d'Alsace qui compte 100 000 habitants, eut une répercussion énorme dans toute, la France. Notre victoire ne paraissait plus douteuse. Le généralissime adressait une proclamation à nos frères retrouvés.
M. Messimy, Ministre de la Guerre, télégraphiait au général en chef :
Mon général, l'entrée des troupes françaises à Mulhouse, aux acclamations des Alsaciens, a fait tressaillir d'enthousiasme toute la France. La suite de la campagne
nous apportera, j'en ai la ferme conviction, des succès dont la portée militaire dépassera celle de la journée d'aujour- d'hui. Mais, au début de la guerre, l'énergique et bril- lante offensive que vous avez prise en Alsace nous apporte un précieux ré- confort. Je suis profondé- ment heureux, au nom du Gouvernement, de vous exprimer toute ma grati- tude.
Hélas ! cette confian- ce était prématurée. Les Allemands en fuite avaient
bien incendié les magasins militaires de vivres, de matériel et de fourrages ; mais ils laissaient derrière eux une horde d'espions. Leurs officiers, avant de partir, avaient promis de se venger dès le lendemain des Français.
Le général Curé apprenait, en effet, dans la soirée du 8 août, que de gros détachements ennemis apparaissaient en direction de Müllheim et de Neuf-brisach. La forêt de la
Hardt, impénétrable et méthodiquement organi- sée, fourmillait de casques à pointe.
Il était impossible à une brigade d'infanterie de défendre victorieusement Mulhouse contre des for- ces importantes venant du Nord et de l'Est. Le géné- ral Curé se rendit compte de cette situation, et pour éviter une catastrophe fit évacuer Mulhouse à 2 heures du matin, puis s'installa sur les hauteurs, au sud de la ville. Les Allemands, assurés de
trouver nos soldats en pleine orgie, comptaient les bousculer sans coup férir, et pénétrer à leur suite par la trouée de Belfort. La rapidité de notre offensive les avait surpris. La faiblesse de nos effectifs les rassura.
Au matin du 9, notre 28e brigade (35e et 4e régiments d'infanterie) était rassemblée, avec le 1er groupe du 47e régiment d'artillerie, face au nord, sur le plateau de Riedisheim, et la 114e brigade (moins les deux bataillons actifs des 117e et 17e régiments d'infanterie, en réserve à Galfingen) se retranchait au nord de Dornach. La 8e division de cavalerie était chargée de patrouiller dans la Hardt.
LA ROUTE DE LA SCHLUCHT À MUNSTER
Durant toute la matinée, du côté ennemi, un train blindé de huit wagons fit la navette entre Mullheim et l'île Napoléon, où il amenait, à chaque voyage, des unités d'in- fanterie. Nos artilleurs ne parvinrent pas à l'atteindre. Le
XIVe Corps allemand achevait, pendant ce temps, sa concentration à Neuenberg, sur la rive droite du Rhin.
Au cours de l'après-midi, une importante colonne fut signalée au nord de Mulhouse. Vers 5 heures du soir, l'action générale s'engagea. A la nuit tombante, la bataille faisait rage. Le XIVe Corps et une division du XVe Corps allemand prononcèrent une double attaque, leurs troupes surgissant de la forêt de la Hardt, et descendant par Neufbrisach, Colmar et Soultz-sur-Cernay. Notre retraite était bientôt menacée en direction de Cernay par des forces supérieures. Notre centre à son tour allait courir les plus gros dangers. Vainement les 35e et 4e régiments d'infanterie firent des prodiges, refoulant à plusieurs reprises les Allemands sur Rixheim et l'île Napoléon. Mais la 41e division subissait un bombardement par obusiers à Lutterbach et devait battre en retraite. Le 15e bataillon de chasseurs évacuait bientôt Cernay. Toutes ces unités ref- luaient par la route de Bussang, vers 8 heures du soir. Notre 14e division restait en flèche, sans aucune réserve pour la soutenir. Le général Curé prescrivit alors la retraite, qui s'effectua dans un ordre parfait, en direction de Niedermorschwiller.
Au matin du 10 août, notre gauche était à Thann, notre centre et notre droite sur la ligne Reiningen - Altkirch. Nos
forces, d'ailleurs épuisées, qui se trouvaient à Reiningen, pouvaient, d'un moment à l'autre, se trouver compromises. Le moral des troupes ayant subi une rude atteinte, le Commandement décida l'accentuation de notre repli sur les Hautes-Vosges; Vieux-Thann, puis Thann furent évacués. La retraite était reprise en direction de l'Ouest. Les Allemands, eux, marchaient en direction du Sud. Ils se heurtèrent, le 10 août, à la 57e division de réserve, qui appartenait à la garnison de Belfort.
Que s'était-il donc passé en arrière de notre front d'attaque ?
La 113e brigade (235e, 24e et 260e régiments d'infanterie) avait été dirigée dès le 9 août sur la frontière, pour surveiller la direction de Dannemarie ; elle se porta le 10 sur les contreforts de la rive gauche de l'Ill et sur les hauteurs du Spechbach, Où elle fut rejointe par la brigade Quais, qui retraitait avec la 14e division.
Grâce aux hésitations de la poursuite ennemie, les éléments de la 57e division se trouvaient rassemblés le 11 août sous les ordres du général Frédéric Bernard, et purent couvrir la droite du 7e Corps d'Armée, puis engager le combat et briser l'effort ennemi. Ainsi, le 11 août, le déta- chement d'armée Bonneau réussissait à se fixer derrière le
ruisseau de Saint-Nicolas. Les 44e et 60e régiments d'infanterie rejoignaient les autres éléments de la 14e division et bivouaquaient là jusqu'au 17 août. Le 47e d'artillerie s'établissait le 12 et le 13 en cantonnement bivouac à La Collonge, laissant ses 5e et 6e batteries soutenir nos avant-postes vers Vauthiermont et Reppe.
OPÉRATIONS DU DÉTACHEMENT D'ARMÉE BONNEAU (7 au 13 août 1914)
Le 7e Corps d'Armée se trouvait dégagé par l'inter- vention de la 57e division en avant du col de Valdieu ; cette division s'établissait le 12 août entre Montreux-Jeune et
Chavannes-sur-l'Étang, afin de couvrir les routes qui permettaient de tourner Belfort par le Sud. Le 13 août, après maints tâtonnements, l'ennemi se décidait à l'offensive.
GÉNÉRAL PAU
L'attaque, menée par des troupes badoises et wurtembergeoises, se déclencha sur le front Montreux- Jeune - Chavannes-l'Étang. La 113e brigade, qui formait l'aile droite de la 57e division, défendit vaillamment le moulin de la Caille et le village de Montreux-Jeune. Par crainte d'enveloppement, elle se replia dans Montreux-Vieux, derrière le canal du Rhône au Rhin. L'ennemi bombarda
Montreux-Vieux, mais ses attaques se brisèrent sur le canal. Il dut renoncer à sa marche sur Montbéliard. Cette affaire nous coûta 800 tués ou blessés. L'ennemi perdit presque 2.000 hommes. Il se vengea de son échec en incendiant Romagny.
La 57e division organisa immédiatement ses positions pour couvrir la route du Sud-Est et nous assurer les voies de communication débouchant du col de Valdieu.
Le combat de Montreux marque la fin de notre première pointe offensive sur Mulhouse ; opération témé- raire sans doute, mais qui n'aboutit pas à une catastrophe, et qui laissa intacte notre frontière. L'Allemagne cria au triomphe, insolemment. La France fut péniblement affectée, et le Journal Officiel enregistra la mise à la retraite, pour raison de santé, du général Bonneau.
L'armée française ne pouvait rester sur cet échec. Trop d'espoirs étaient nés soudain au-delà des Vosges. Nous leurs devions une réparation morale. Et d'autre part une nouvelle poussée, bien conduite, ne pouvait manquer d'as- surer des positions meilleures à l'aile droite de nos armées.
LA DEUXIÈME OFFENSIVE
Afin de pouvoir agir avec plus de sécurité, nos troupes
opérant en Lorraine avaient besoin d'être sérieusement couvertes en direction du Sud par l'occupation des points de passage du Rhin, de Huningue à Neufbrisach. Cette mission de flanc-garde, non réalisée par le détachement d'armée Bonneau, ne pouvait être abandonnée sans danger. L'occupation du Sundgau nous était nécessaire, car des colonnes ennemies débouchant par là mettraient en péril notre 1re Armée.
Dès le 10 août, le général Joffre ordonnait la constitution d'une armée plus importante, qui rétablirait la situation en Haute-Alsace, et qui serait confiée au général Pau, le plus populaire de nos généraux. Le rassemblement des forces commença le 11 août. Le général Pau prit pour chef d'état-major le lieutenant-colonel Buat, officier supé- rieur unanimement apprécié. L'effectif devait être porté à 115 000 combattants. Le 7e Corps d'Armée fut reconsti- tué et repris en main par un nouveau commandant, le gé- néral Vauthier. Il lui fut adjoint la 8e division de cavalerie et la 57e division d'infanterie de réserve, cette dernière étant toutefois allégée des 235e et 260e régiments d'infanterie, qui avaient combattu à Montreux et devaient, pour se refaire, cantonner à Belfort. Des éléments des 171e et 17e régi- ments d'infanterie furent accolés au 24e dans la 113e briga- de, et complétèrent les effectifs de la 57e division, qui comptait à la 114e brigade : les 371e, 370e et 244e régi-
ments d'infanterie, trois groupes d'artillerie montée de 75, une compagnie du génie et deux escadrons de réserve de dragons.
LES BALLONS D'ALSACE ET DE SERVANCE
Le 1er groupe de division d'infanterie de réserve, com- mandé par le général Archinard, des troupes coloniales, en- trait dans l'armée d'Alsace, à laquelle il apportait un renfort de trois divisions, constituées chacune par deux brigades de trois régiments à deux bataillons. C'est ainsi que la 66e division du général Woirhange était composée de la 131e brigade du général Sauzède (280e, 281e et 296e régiments d'infanterie) et de la 13e brigade du général Sarrade (215e 253e et 343e régiments d'infanterie). La 63e division de réserve était constituée de façon identique, ainsi que la 58e ;
cette dernière, commandée par le général Lombard, laissait toutefois une de ses brigades à la disposition de la 1re Armée.
La 44e division d'infanterie alpine, commandée par le général Soyer, apportait son appoint à l'armée nouvelle : les 97e, 157e, 159e et 163e régiments d'infanterie, tous à trois bataillons.
Quant à la brigade active de Belfort, elle était formée des six bataillons des 171e et 17e régiments d'infanterie. Deux de ces bataillons avaient déjà vu le feu avec la brigade Quais.
Deux batteries lourdes furent improvisées et mises à la disposition du général Pau, qui reçut en outre les cinq groupes alpins de la XIVe région, rattachés pour ordre au 7e corps d'armée.
Le général Pau avait ainsi sous ses ordres 115 000 hommes pour mener à bien la tâche que le général Bonneau n'avait pu accomplir avec ses 19 000 combattants. Il ne s'agissait plus d'une reconnaissance, mais d'un effort décisif en direction du Rhin : offensive méthodique de l'Ouest à l'Est, notre gauche avançant vers le Nord-Est pour couper la retraite aux Allemands dans cette direction, afin que
l'adversaire n'eût d'autre issue que la frontière suisse ou le passage du fleuve.
EN ALSACE - CAMPEMENTS D'ALPINS
La gauche de l'armée du général Pau (véritable aile droite de notre 1re Armée) fut, en conséquence, composée d'éléments particulièrement solides et entraînés : les cinq groupes alpins de la XIVe région commandés par le général Bataille. Le général Pau les engagea même avant d'avoir achevé la formation de son armée. Ces groupes, qui débar- quaient le 12 août dans la région Remiremont - Gérardmer - Saint-Maurice, furent immédiatement affectés à la garde de la crête des Vosges, du ballon de Servance jusqu'au col
de la Schlucht. Ils devaient descendre par les routes du versant oriental pour tenir solidement les débouchés de ces routes sur la plaine d'Alsace. Le Louchbach marquait leur jonction avec les 7e, 11e et 14e bataillons de chasseurs, qui constituaient l'extrême gauche de la 1re Armée.
Dès le 14 août, le 28e bataillon reçut l'ordre de des- cendre sur Massevaux et Lauw, pour éclairer la 41e division. Commandé par le lieutenant-colonel Brissaud- Desmaillet, ce bataillon arriva sans encombres à Massevaux vers midi, et repartit sur Rodern. Sa marche était surveillée par quatre cavaliers ennemis du 14e dragons. Le lieutenant Ayme, reconnaissant soudain des ennemis, tua d'un coup de feu le sous-officier, chef de patrouille. Les trois autres cavaliers prirent la fuite.
Pendant ce temps, les 1e et 2e bataillons descendaient de Bussang sur Thann. Ils entrèrent dans Thann à sept heures du soir, les Bavarois ayant précipitamment évacué la ville. Le 30e bataillon du lieutenant-colonel Goybet descen- dait du Hohneck et menait l'attaque en direction de Munster. Le 13e bataillon restait en réserve de la 81e brigade, à laquelle il était provisoirement rattaché.
Le 15 août, les groupes alpins qui avaient mené ces trois offensives divergentes se reconstituèrent en deux grou-
pements. Au Nord, les 30e et 13e bataillons demeurèrent avec la 81e brigade, momentanément arrêtée devant Munster. Au Sud, les groupes des 1e, 2e et 28e bataillons se réunirent autour de Cernay, sous les ordres du lieutenant-colonel Gratier, liant leur mouvement à la gauche du 7e Corps d'Armée.
Cette couverture de gauche était assez solide pour que l'offensive en Haute-Alsace fût déclenchée.
Notre droite, appuyée sur le canal du Rhône au Rhin, était forte de deux divisions ; la 66e (280e, 281e et 296e, 215e, 253e et 343e régiments d'infanterie de réserve) et la 44e (157e, 159e, 163e et 97e régiments d'infanterie alpine).
Le 7e Corps d'Armée se trouvait à cheval sur la route de Belfort à Mulhouse, assignée comme axe de mouve- ment.
A l'extrême-gauche, deux autres divisions, la 58e et la 41e, devaient marcher en liaison avec les groupements al- pins, dont l'axe de mouvement serait Sentheim - Aspach - Wittelsheim. La progression sur Mulhouse devait se faire, cette fois, en quatre bonds successifs, jalonnés au centre par Soppe, Burnhaupt et Heimsbrunn.
Le 16 août, l'Armée d'Alsace passait à l'attaque. Elle atteignait facilement le front Buettwiller - Guewenheim - Burbach. Surpris, les Allemands se retirèrent en désordre vers le Nord et vers l'Est, abandonnant munitions, vivres et matériel. Seule, la possession de Danemarie fut chèrement disputée.
Le 17 août, l'ennemi hâta sa retraite vers la Haute-Alsace. Nous enlevions Munster par une manœuvre habile au sud de la ville : l'ennemi fuyait vers Turckheim.
Le 18 août, tout le terrain était balayé au sud des Vosges, et jusqu'au Donon. L'Armée d'Alsace tenait le front Tagsdorf - Obermorschwiller - Zillisheim - Hochstatt - Niedermorschwiller - Reinningen - Wittelsheim.
Au soir de ce jour, le général Pau donnait à ses troupes l'ordre d'attaquer, pour enlever Mulhouse, la ligne de l'Ill autour de laquelle s'étaient regroupées les forces ennemies. L'aile gauche avait mission de se redresser vers le Nord, en direction de Colmar et de Neufbrisach, l'aile droite devait se porter sur Altkirch.
La bataille générale fut ainsi livrée du 19 au 22 août. Le 19 août, après un combat acharné, le 7e Corps d'Armée enleva Mulhouse. Il fallut d'abord courir à l'assaut de mas-
ses ennemies concentrées entre Lutterbach, Pfastadt et Richwiller. Notre artillerie fit merveille dans la préparation. A Dornach se cristallisa la résistance allemande. Dornach est la banlieue de Mulhouse : partout des villas, des jardins, des murs, des haies. L'ennemi avait tendu des fils électrifiés, chaque maisonnette était un fortin. La 14e division dut livrer un assaut en règle, dans lequel se distinguèrent les 35e, 4e, 44e et 60e régiments d'infanterie, ainsi que les sapeurs du 4e génie. Six pièces de 77 furent prises à la baïonnette par le 4e régiment d'infanterie. Les Badois subirent des pertes cruelles. Un millier de prisonniers tomba entre nos mains. La 8e division de cavalerie pourchassa l'ennemi jusqu'à la région d'Ensisheim, à 20 kilomètres au nord de Mulhouse. Durant la bataille se distingua le colonel Nivelle, comman- dant du 5e régiment d'artillerie de campagne.
Pour la seconde fois, en quinze jours, les Français entrèrent à Mulhouse à quatre heures de l'après-midi. Mais ils ne firent que traverser la ville pour aller se retrancher à Lutterbach et dans la région de Modenheim. Seuls, les 35e et 4e régiments d'infanterie, qui s'étaient distingués à Dornach, restèrent en réserve à Mulhouse, et le 3e groupe du 47e régiment d'artillerie se mit en batterie sur la cote 266 et sur les croupes sud-est de la ville.
A droite du 7e Corps, l'attaque de Mulhouse fut bordée
par la 66e division, dont l'objectif était Brunstatt, sur l'Ill, et à l'extrême droite par la 44e division qui se rabattait sur Altkirch. Ces deux divisions maîtrisèrent toutes les réactions ennemies et atteignirent leurs objectifs.
LE CORPS DE GARDE AU LAC NOIR
La 66e division dépassa, le 19 août, les avant-postes que ses régiments de la 131e brigade (280e, 281e, 296e régiments d'infanterie) et de la 13e brigade (215e, 253e et 343e régiments d'infanterie) avaient installés sur le front Ammertzwiller - Hagenbach. L'ennemi tenta de résister sur la ligne Brunstatt - Flaxlanden. Il dut battre en retraite de- vant l'attaque du 215e régiment d'infanterie (colonel Gadel,
des troupes coloniales) et du 343e régiment d'infanterie (lieutenant-colonel Prudhomme). Le 215e progressa pour- tant avec beaucoup de peine : deux fossés rendaient sa marche quasi impossible : le canal du Rhône au Rhin et l'Ill. Les sections de tête refluèrent en désordre sous le tir des mitrailleuses allemandes. Le terrain sur lequel elles s'étaient engagées était plat et dénudé. Notre artillerie balaya aussitôt de son feu les bords du canal et les emplacements des mitrailleuses. A la nuit tombante, l'ennemi s'empressa d'évacuer Brunstatt, et le 215e régiment d'infanterie put prendre possession du village.
La brigade de droite attaquait Zillisheim et Flaxlanden ; les 296e et 280e régiments d'infanterie brisaient définiti- vement la résistance allemande. Le 21 août, le 215e régiment d'infanterie s'installait à Heinsbrunn, et le 343e régiment d'infanterie à Galfingen ; ces villages étaient mis aussitôt en état de défense.
La mission de la 66e division était remplie.
Au nord de Mulhouse, l'ennemi ne fut pas plus heureux. A l'extrême droite, la 44e division, qui couvrait notre flanc, était violemment prise à partie par une division allemande, venue de la rive droite du Rhin. Après un âpre combat, l'ennemi était rejeté, et sur le carnet d'un officier allemand
on lisait quelques jours plus tard les lignes suivantes : « Notre infanterie est écrasée ; batteries et fantassins fuient en désordre, suivis du général von Bodungen qui marche à pied derrière ses troupes battues et désemparées... » La 44e division refoulait l'adversaire sur Emlingen et sur Tagolsheim, puis se rabattait sur Altkirch. Devant cette place, le général Plessier était mortellement frappé, à la tête de la 88e brigade. Ses troupes s'emparèrent de la ville au prix de gros sacrifices. La 44e division fut alors relevée par la 57e, dont les régiments purent occuper en toute sécurité les hauteurs de la rive droite de l'Ill, depuis Altkirch jusqu'à Mulhouse. Nos reconnaissances atteignaient la Hardt.
Notre aile gauche avait pour objectif général Colmar, et pour mission de progresser en liaison étroite avec la 1re Armée, dont elle couvrait le flanc droit.
Le groupement de chasseurs alpins remplit cette tâche difficile avec intrépidité. Grâce au dévouement des chas- seurs, la 1re Armée et l'Armée d'Alsace purent accélérer leur avance ou limiter leur recul.
L'offensive fut prise le 19 août. Le groupe du Nord (13e et 30e bataillons) marchait sur Colmar en descendant la Fecht. Le groupe du Sud (28e, 22e et 12e bataillons du lieutenant-colonel Gratier) agissait en direction du Nord par la rive gauche de l'Ill. Ce dernier groupe trouva la route de la plaine solidement tenue par les Allemands. Il prit, plus à l'ouest, la route du col d'Osenbach. Le 28e bataillon se dirigeait ainsi d'Uffholtz sur Guebwiller. Ce dernier village fit fête aux chasseurs. Ils continuèrent leur route, et atteignirent la région de Westhalten Orschwihr, fourmillante d'ennemis.
Le lieutenant-colonel Brissaud-Desmaillet, comman- dant du 28e bataillon, envoya dans l'après-midi une reconnaissance offensive, dirigée par le lieutenant d'Armau de Pouydraguin, sur le village de Pfaffenheim. L'officier ne découvrit rien de suspect dans le village; mais un habitant s'enfuyant vers une ferme isolée, il lui donna la chasse, et se trouva soudain devant une sentinelle allemande, avec laquelle il engagea un furieux combat corps à corps. Les chasseurs arrivèrent à temps pour dégager leur lieutenant, malgré une vive fusillade partie de la ferme. La patrouille, fortement éprouvée, put regagner nos lignes. Nous nous trouvions au contact immédiat de l'ennemi.
Pendant ce temps, le 30e bataillon, qui se portait sur Walbach, se heurta à une brigade wurtembergeoise. Le capitaine Banelle chargea intrépidement une batterie qui dut s'enfuir, abandonnant ses projectiles. Un régiment ennemi, lancé à l'attaque, reflua en désordre sous le feu de nos mitrailleuses et de nos batteries de montagne. Le 30e bataillon subit des pertes sensibles, mais la route de Turckheim nous était ouverte, et les trois bataillons du lieutenant-colonel Gratier pouvaient progresser. Le 13e bataillon était aussitôt détaché dans la région Orbey - Zell, où il couvrait face au nord le flanc gauche des chasseurs.
OPÉRATIONS EN HAUTE ALSACE
(GÉNÉRAL PAU)
Du 14 au 22 août 1914
Le 21 août, le 30e alpins enlevait Turckheim. Les bataillons glissaient vers la région de Kaysersberg et d'Ammerschwihr. Le 22 août, ils livraient le sanglant combat d'Ingersheim.
Ce dernier village, situé à 3 kilomètres de Colmar, est protégé au sud par le cours de la Fecht. La route de Colmar à Ingersheim franchit la rivière sur un pont de pierre. Puis elle longe la rive sud de la Fecht, bordée par une sapinière ensuite, des vignes touffues s'étendent jusqu'à Logelbach, faubourg de Colmar.
Dès 10 heures du matin, une batterie allemande de 210 bombarda le front d'Ingersheim et les rives de la Fecht. A 11 heures, les colonnes allemandes débouchèrent de Colmar par la route de Kaysersberg. Elles se heurtèrent devant Turckheim aux 2e et 3e compagnies du 30e bataillon, et ne purent forcer le barrage. Mais l'attaque gagna par le nord. L'ennemi, sous le couvert des sapins, s'infiltra jusqu'à Ingersheim. La lutte fut meurtrière. Les 1e, 5e et 28e bataillons contre-attaquèrent furieusement les troupes bavaroises. Ingersheim fut pris et repris à trois reprises. Les 5e et 28e bataillons culbutaient enfin l'aile droite.
Ainsi, à l'extrême gauche, nous nous trouvions aux abords mêmes de Colmar; à l'extrême droite, au sud d'Alt-
kirch, les cavaliers de la 14e brigade de dragons et les fantassins du 24e régiment d'infanterie étaient installés à Hirsingen et à Hirtzbach. De l'ILL au Rhin, la voie semblait ouverte à l'Armée d'Alsace.
Malheureusement, le 22 août, la 2e Armée brisait ses efforts sur les défenses de Morhange ; sa retraite entraînait le repli de la 1re Armée, qui abandonnait le 23 août le Donon et le col de Saales. L'Armée d'Alsace ne pouvait plus rester en flèche. La bataille des frontières était finie ; nous l'avions perdue. Une autre bataille se préparait, pour laquelle le général en chef avait besoin de toutes ses forces. L'Armée du général Pau fut disloquée au profit de nouveaux théâtres d'opérations.
Dès le 22 août, la 8e division de cavalerie (qui laissait cependant sa 14e brigade de dragons à l'Alsace) et la 44e division étaient rattachées à la 1re Armée. Le 24 août, la 63e division de réserve et le gros du 7e Corps d'Armée étaient transportés sur la Somme, puis sur Paris, à la disposition de la 6e Armée.
Une telle dislocation entraînait l'abandon du terrain conquis. Le Commandement fit afficher en Alsace ce communiqué officiel :
Le général en chef ayant à faire appel, pour faire face sur la Meuse, à toutes les troupes, avait donné l'ordre d'évacuer progressivement le pays occupé. Mulhouse a été de nouveau évacuée. La grande bataille est engagée entre Maubeuge et le Donon. C'est d'elle que dépend le sort de la France, et de l'Alsace avec elle. C'est au nord que se joue la partie ; c'est là que le général en chef appelle pour l'attaque décisive toutes les forces de la nation. L'action militaire entreprise dans la vallée du Rhin distrairait des troupes dont dépend peut-être la victoire. Il leur faut donc quitter momentanément l'Alsace pour lui assurer la délivrance définitive, quelque soit leur chagrin de n'avoir pu la soustraire déjà à la barbarie allemande. C'est une cruelle nécessité que l'armée d'Alsace et son chef ont eu peine à subir, et à laquelle ils ne se sont soumis qu'à la dernière extrémité.
Les troupes françaises abandonnaient non seulement Mulhouse, que le général Pau évacuait le 24 août, mais Altkirch, Cernay, Logelbach, le Sundgau.
A l'Armée d'Alsace furent substitués deux groupe- ments : celui de Belfort au sud, celui des Vosges au nord. Le premier devait garder l'accès de la trouée, le second tenait notre frontière d'Alsace, et couvrait le flanc de la 1re
Armée.
Certes, on a pu reprocher au général en chef d'avoir dispersé ses efforts au début de la plus sanglante des guerres. Mais eût-il été juste de négliger les impondérables ? Le point de vue moral eut la plus large place, au cours du tragique conflit. Notre action en Alsace était en quelque sorte le symbole des revendications de la Justice. L'Allemagne avait déchiré le traité de Francfort. La France criait à l'Alsace : « Me voici enfin ! » Et le coin de terre retrouvée, que nous sûmes garder, prouvait au monde que nous n'étions pas à la merci de notre implacable adversaire, et qu'après avoir tant souffert nous n'avions tout de même rien oublié.
ROBERT PIMIENTA.