«... Nous, Pierre Donat, observateur à la tour de Maubeuge, et Jean-Marie Coutelle, capitaine comman- dant les aérostiers, le vent soufflant Nord et assez fort, nous nous sommes élevés à 8 heures du matin. Nous étions à peine à la hauteur de 10 toises (43) qu'un boulet venant de l'ouvrage a passé à une assez grande distance au-dessus de l'aérostat, 20 ou 30 toises plus haut, un deuxième venant du même côté a passé au plus près à 50 toises environ, un troisième a passé très près de nous sur notre gauche (44) .... »
Ce premier tir des artilleurs Autrichiens, le 25 Prairial de l'An II (45) contre « l'Entreprenant », ballon captif de 27 pieds de diamètre, est sans doute l'événement anecdotique annonçant la naissance d'une Arme nouvelle : l'artillerie antiaérienne.
Mais c'est à partir de 1870 pendant le siège de Paris, année où les assiégés utilisent des ballons libres pour communiquer avec la province que le premier armement spécialisé va être construit. Les Prussiens, excédés par le passage des ballons français, font construire en urgence par les usines Krupp un « mousquet à ballon » (46)
Ainsi, l'apparition d'une menace venant du ciel a été im- médiatement suivie par celle d'un moyen de riposte terrestre.
Par la suite, tout gain en vitesse et en altitude de l'arme aérienne a été rapidement rattrapé par un accroissement de l'efficacité des moyens terrestres. C'est pourquoi, les évo- lutions de la menace et de son antidote sont parallèles. Mais elles n'ont pas toujours été concomitantes. L'insuffisance de la défense antiaérienne française au cours de la bataille de France en 1940 est une illustration de ce décalage dans le temps. Pourtant, nouveau-né au début de la Première Guerre mondiale, l'artillerie de défense contre avion, puis contre aéronef avait connu un essor et une efficacité fantastiques jusque 1919. L'ampleur des pertes humaines de la Grande
Guerre, l'immensité de l'effort de reconstruction et l'instabilité de la structure politique de cette époque conduiront l'artillerie antiaérienne qui succède à la DCA, au destin décrit supra malgré un sursaut à partir de 1935.
L'adaptation de l'artillerie antiaérienne, devenue l'artillerie sol-air, aux progrès de l'avion à réaction des armées de l'air et le recours au missile comme vecteur de ses munitions seront développés dans des publications ultérieures.
L'utilisation par les prussiens du mousquet à ballon ne va pas cependant susciter de curiosité particulière avant 1900.
L'engouement pour les dirigeables, les ballons captifs et les avions, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, incite les artilleurs à rechercher les moyens de défense contre les aéronefs. Une note adressée le 22 avril 1900 au ministre de la Guerre sur un « programme de recherche des moyens d'at- taquer les dirigeables » par le lieutenant-colonel Sainte-Claire Deville (47) directeur de la Section technique de l'artillerie,
est le premier document qui atteste de l'intérêt de l'artillerie française pour une arme de défense contre un objet volant.
Des études de tir sur aéronefs sont entreprises en 1904 sous la direction du comité de l'Artillerie et, en septembre 1906, la Section technique de l'artillerie demande que des expériences soient faites le plus tôt possible dans le but de définir un matériel et un obus efficaces contre les aéronefs (48). Des tirs ont lieu l'année suivante au camp de Mailly avec le canon de 75 modèle 1897 sur affût de campagne et sur affût de côte modifié par les Ateliers de construction de Bourges. Ces expériences montrent l'incapacité du canon de 75 de campagne à satisfaire le besoin en raison de la limita- tion de son champ de tir en direction et en site.(49)
Le 1er mai 1908, le Comité de l'Artillerie examine une proposition « d'auto-canon » de 75 » venant du lieutenant-colonel Sainte-Claire Deville, devenu directeur de l'Atelier de Lyon. L'exécution de ce projet est confiée à l'Atelier de Puteaux le 6 juin 1908 par l'inspection Permanente des Fabrications d'Artillerie.
Ce matériel automobile contre ballon est prêt en 1910 et présenté en octobre de la même année au cours de la manœuvre d'automne au camp de Châlons avec toute une sé-
rie d'autres matériels destinés au tir contre aéronefs comme les canons de 37mm et de 47mm, le canon de 75mm sur dispositif de fortune et sur plate forme de Bourges ou encore l'affût permettant le tir vertical des mitrailleuses. Des obus fumigènes et incendiaires y sont également présentés.
Projet d'autocanon de 75 mm modèle 1910 sur châssis de Dion Bouton.Après des tirs d'expérimentation à Toulon et Calais, le projet d'auto-canon est définitivement adopté en avril 1913 et une commande de 30 pièces est passée aux ateliers de Puteaux. L'auto-canon de 75 est monté sur une plate-forme automobile constituée par un « De Dion Bouton ». Si le premier canon conçu spécialement pour le tir antiaérien est un canon « automobile », c'est que dans l'esprit des concepteurs, il doit, après avoir exécuté un premier tir, être capable le cas
échéant de se déplacer sur route à la poursuite de l'aéronef.
Cette conception est audacieuse voire idéaliste même si les vitesses des ballons et des avions de l'époque étaient comprises entre 20 et 60km/h. L'exécution de la commande est longue et, en juillet 1914, l'artillerie française ne dispose que d'un exemplaire d'auto-canon et de quelques plates- formes fixes permettant le tir du canon de 75 jusqu'à un angle de site de 40 degrés.
Voiture canon de fabrication allemande équipée d'un canon de 63 mm et présentée au salon automobile de Berlin en 1909.L'Allemagne, malgré l'expérience de 1870, n'est guère plus avancée, bien que l'Empereur ait ordonné, en 1904, des études dans ce domaine. Des canons antiaériens montés sur automobiles sont présentés au cours des salons de l'automo- bile de Berlin entre 1906 et 1909 sans suites immédiats.
Une voiture mitrailleuse avait été présentée en 1906. Il n'y aura pas de suite.LA GRANDE GUERRE
LA SITUATION AU DÉBUT DU CONFLIT
Au début du XXe siècle, les dirigeables et les avions ont suscité un grand intérêt dans les milieux militaires. Aussi, lorsque le conflit éclate les parcs aéronautiques des adversaires sont importants.
A cela, il faut ajouter un nombre non négligeable de ballons captifs. Mais, au-delà des chiffres, il faut relever une différence de doctrine d'emploi des deux côtés du front. Si, en France, l'emploi de ces moyens aériens n'est envisagé que pour la reconnaissance, en Allemagne, leur emploi pour le bombardement est prévu dès le début de la guerre. Ainsi, le 3 août 1914, un avion allemand largue six bombes sur Lunéville.
Le 30 août, un « Taube » jette cinq bombes sur Paris. Devant le petit nombre de matériels spécialisés et l'absence de méthode de tir contre les aéronefs, les officiers d'artillerie utilisent le canon de 75 de campagne et les armes indivi- duelles tirant ensembles par « fusillades ». Ces interventions sont peu efficaces bien que l'une d'elles ait été fatale au Zeppelin VII abattu le 23 août à Badonvillers par un canon de 75 de campagne mis en batterie sur un affût de fortune.
Pendant les premiers mois du conflit, face à cette nouvelle menace, les artilleurs donnent donc libre cours à leur esprit inventif : des pièces sont montées sur des arbres ou sur le caisson à munition, des circulaires de pointage ou des plates-formes de fortune sont édifiées. Mais ces dispositifs extrêmement variés présentent un caractère commun : ils sont destructeurs pour le matériel de 75 dont le frein n'est pas conçu pour de si grands angles de site.
Ces improvisations ont un autre résultat fâcheux. Dès que les troupes voient un dirigeable, elles ouvrent le feu sans souci d'identification préalable. C'est ainsi que le dirigeable « Fleurus » est gravement endommagé par une salve d'armes d'infanterie française. Dès octobre 1914, ce type de tir est interdit et les artilleurs restent les seuls à lutter contre les aéronefs. Très rapidement après la stabilisation du front, la spécialisation du personnel débute dans l'artillerie.
L'ORGANISATION DE 1914 À 1918
La dotation en matériel spécialisé est inexistante au début du conflit. Lorsque les premiers canons antiaériens arrivent aux armées, les pièces ou sections de deux pièces sont rattachées à des organismes divers qui n'ont aucun lien entre eux (50).
Assez vite, la défense contre aéronefs, DCA, va se grouper en deux gros ensembles : la DCA de défense du camp retranché de Paris et la DCA aux armées. Plus tard, un troisième ensemble s'ajoute aux premiers : la DCA de l'intérieur groupant les postes et sections défendant quelques centres vitaux comme Le Havre, Orléans, Bourges, Lyon, Le Creusot,...
A partir de novembre 1915, les postes de tir sont rassemblés en groupe de 5 ou 6 qui vont constituer les futures batteries.
C'est l'année 1916 qui marque réellement la naissance de l'artillerie contre aéronefs. En janvier 1916, la création d'une inspection technique de la DCA aux armées au sein de l'Inspection du matériel d'artillerie aux armées est décidée et mise sous les ordres le général Sainte-Claire Deville.
Le ler février 1916, le centre d'instruction du tir contre aéronefs d'Arnouville-lès-Gonesse et de la commission d'étu- des pratiques du tir contre objectifs aériens sont regroupés dans un même organisme. Le Chef d'escadron (51) Pagezy est le premier chef de cet ensemble.
Enfin, le ler août, le rattachement de toutes les unités d'auto-canon et des postes demi-fixes de DCA au 62ème Régiment d'artillerie de Saint-Cloud est ordonné et réalisé.
Le 12 septembre 1916, un document réglementaire, « L'instruction et l'organisation de la DCA » précise l'orga- nisation « nouvelle » c'est à dire celle issue des décisions décrites au paragraphe précédent.
« ... La défense contre les aéronefs comprend :
titué par quatre lignes successives de postes de surveillance.
Au début de l'année 1917, l'apparition à l'ouest du front de bombardiers « lourds » (pour l'époque) allemands tels que les « Gothas » et les « Friedrichshafen » impose une étroite collaboration de tous les moyens de DCA Il importe de coordonner tous les moyens d'action des armées (Armées françaises et britanniques) ainsi que ceux de la Marine et de la Défense de l'intérieur afin d'obtenir leur rendement maximum.
Un conseil de défense aérienne du territoire est créé en juillet 1917. Dès la première réunion, il apparaît que la coordination des moyens de défense aérienne au sein des armées françaises et entre les armées alliées ne peut se faire qu'à des niveaux de commandement extrêmement élevé. C'est donc l'État-major Général (É.M.G) qui en est chargé. Le général Foch, chef de l'É.M.G, publie le 13 août 1917 un nouveau plan de défense aérienne qui reste en vigueur jusqu'à la fin de la guerre.
En mai 1918, les moyens affectés aux armées augmentent en nombre et c'est pourquoi, le 63ème Régiment d'artillerie (53), au sein duquel ils sont regroupés, est scindé en trois régiments spécialisés : le 66ème avec les autocanons de 75 et les sections de remorque de 75, le 166ème, administrativement
rattaché au premier, avec unités de plates-formes demi-fixes de 105 et le 67ème avec les unités de projecteurs.
LES MOYENS MATÉRIELS
Comparé au besoin, l'arrivée du matériel est lente au début de la guerre. Des recherches sont entreprises dans le but d'accélérer la fabrication et les livraisons. A partir de l'été 1915, les types et le nombre de matériel livrés tant aux armées qu'à la zone de l'intérieur sont satisfaisants. Les moyens de défense à terre sont regroupés en centres de défense contre aéronefs dont les plus importants sont aussi dotés d'escadrilles de protection.
Un inventaire complet des moyens impose d'ajouter l'en- semble des moyens annexes concourant au tir des canons
comme les postes d'observation et de télémétrie, les pro- jecteurs, les moyens d'alerte et de localisation acoustique, les réseaux téléphoniques spécialisés.
Canon de 75 sur plate-forme 1915
Avion Farman 20
A partir de l'année 1917, l'accroissement des perfor- mances des aéronefs en général et de l'aptitude des avions
au vol en haute altitude (plus de 3 000 mètres) rendent indis-pensable l'étude et le développement d'un canon aux performances supérieures à celles du canon de 75mm (accès à un plafond plus haut) et de matériels nouveaux (tirs à basse altitude). Deux projets de canons sont conduits. Le premier réalisé par les Ateliers de Puteaux est une réponse d'urgence : c'est la mise sur plate-forme de type Raguet du canon de 105 de campagne modèle 1913. Le second, mené par l'arsenal du Creusot, est un matériel nouveau baptisé « 105 G.P. Creusot-Arnouville » spécialement conçu pour le tir antiaérien.
Au début de l'année 1916, le projet de mitrailleuse de 25 à 30mm du chef d'escadron Pagezy n'ayant pas été mis en
œuvre, un canon de 37mm automatique à obus explosifs fusants est mis à l'étude. Mais les nombreux problèmes techniques empêchent ce matériel d'être en service au moment de l'Armistice.
Lorsque la guerre prend fin, l'artillerie antiaérienne comporte plus de 900 canons, 470 mitrailleuses, 400 projec- teurs et 620 ballons captifs de protection.
LES MÉTHODES
Comme pour les moyens matériels au début du conflit, les méthodes sont d'abord empiriques et très sommaires. Elles sont souvent inspirées par celles de l'artillerie de campagne. Ainsi, l'une des premières est appelée méthode de
la « tenaille » qui ressemble fort à celle de « l'encadrement » des tirs au sol. Elle consiste à tirer une hausse dite « longue » et une dite « courte » (la différence entre ces hausses définissant l'ampleur de la « tenaille ») puis de faire un tir dispersé dans une zone comprise entre ces deux hausses. Avec l'auto-canon, la méthode de « pointage par éclatements » est préconisée. Un premier coup avec obus fusant est tiré sur des éléments de tir estimés. L'écart entre le point d'éclatement et l'aéronef est mesuré grâce à la lunette qui peut être décalée par rapport au plan de tir. Pour le coup suivant, on introduit une correction égale à l'écart mesuré. Fausse dans son principe, cette méthode donne de très mauvais résultats. Elle est rapidement abandonnée.
Le tournant s'opère fin 1915 quand les théories développées bien avant la guerre par le chef d'escadron Pagezy (54), alors commandant du Groupe du 506ème Régiment d'artillerie coloniale, sont transformées en « Instruction provisoire sur l'organisation et la conduite du tir du canon de 75 contre objectifs aériens » en décembre 1915.
Pour appliquer ces méthodes, il n'est plus possible d'avoir le personnel disparate du début de la guerre pour servir les nombreux matériels de préparation et d'exécution des tirs dont les améliorations sont poursuivies en perma- nence sous l'impulsion acharnée du chef d'escadron Pagezy.
Un autre officier, le lieutenant de vaisseau Le Prieur
(55) qui avait réalisé avant la guerre un appareil de conduite de tir pour les navires de guerre de la marine, adapte ses méthodes au tir antiaérien et réalise, en 1916, un conjugateur (56) de tir antiaérien.
Avec ces efforts de recherche, la formation des officiers est prise en compte au centre de formation d'Arnouville. Il reste à faire de même avec les soldats d'autant que la pénurie d'effectif fait affecter dans les unités d'artillerie antiaérienne un grand nombre de blessés ou d'inaptes au service au front. Deux centres d'instruction sont créés, l'un à Villers, l'autre à Mitry-Mory.
La DCA britannique, quant à elle, en a abattu 341 et la DCA italienne, 129 soit un total de plus de 900 avions allemands abattus. De son côté, l'Allemagne revendique le nombre abattus de 750 aéronefs alliés.
L'ENTRE-DEUX GUERRES
LE RETOUR AU TEMPS DE PAIX
Le 25 janvier 1919, il est décidé que l'Armée revienne à sa composition d'avant-guerre. La D.C.A qui avait vu le jour pendant le conflit, fait l'objet d'une étude préalable à la décision du 24 juillet 1919.
Une école de D.C.A, prévue à Orléans, est créée finalement à Montargis avec les éléments des trois centres d'instruction et de formation d'Arnouville, de Pont-sur-Seine et d'Avord. Un établissement central de DCA est réparti entre Chartres et Villefranche-sur-Cher.
Les cinq régiments nouvellement formés et le Cours pratique de tir contre les objectifs aériens de Montargis sont rattachés au service de l'Aéronautique. C'est de là que vient une certaine stagnation de la DCA pendant la période d'euphorie immédiatement consécutive à la signature du Traité de paix. La France sort victorieuse d'un conflit effroy- able qui a consommé une grande partie de son énergie et de ses forces vives. Aussi, personne ne se soucie des études d'armement et tout particulièrement celles sur l'artillerie antiaérienne. Tout le monde veut croire que ce conflit est le dernier et reporte son espoir sur les progrès sociaux que peuvent apporter les technologies nouvelles comme celle de l'aviation.
L'aviation civile qui avait fortement progressé par la nécessité du combat, va mettre cette technique au service du vieux rêve des hommes : voler, voler plus vite, voler plus
haut, de jour et de nuit...
Dès 1920, l'aviateur Casale atteint l'altitude de 9.500m, record battu la même année par des américains avec 10.000m.
De même dans le domaine de la vitesse, Sadi Lecointe atteint 313Km/h le 20 janvier 1920. Ce record est porté à 448km/h en 1923 par l'adjudant Bonnet.
Devant de tels progrès de l'avion, personne, civil ou militaire, n'estime nécessaire de combattre les aéronefs hostiles autrement que par sa propre aviation. Cette conviction est d'autant plus grande en France que la D.C.A dépend de l'aéronautique et que les aviateurs sont toujours persuadés que l'avion peut assurer seul la défense antiaérienne.
Pendant quatre ans, l'artillerie de DCA française va végéter. En 1922, le général Pagezy et l'équipe des précur-
seurs de la Grande Guerre arrivent enfin à faire entendre leur voix.
LE SURSAUT DE 1923
Par décision du 25 août 1922, la DCA est transférée à la Direction de l'artillerie et réorganisée en octobre 1922.
Le centre de Montargis est transféré à Longeville-les- Metz et prend le nom d'École de défense contre aéronefs en même temps qu'une commission fait adopter un programme d'ensemble de modernisation des moyens.
L'ÉVOLUTION DES MATÉRIELS
Les moyens de tir
Par exemple, le premier concours ouvert voit les constructeurs se récuser et le seul resté en lice va aller de problème en problème : éclatement, moteur trop faible, etc. Finalement, en 1934, les études (un canon sur remorque de 105mm et un autocanon de 82mm) sont abandonnées. Que de temps perdu !
Les canons lourds
En 1934, après les déboires des études sur les calibres de 105mm et de 82mm, l'état-major se tourne vers les Établissements Schneider qui viennent de réaliser un excellent canon de 90mm pour la marine. C'est ce calibre qui est retenu pour le canon lourd.
Dans la fièvre, que l'approche d'un conflit inéluctable déclenche dans tous les domaines, les réalisations s'accélèrent surtout là où le retard est plus important.
Début 1939, le canon de 90mm C.A. modèle 1939 S (57) est adopté. Une commande de 120 batteries est faite. Seules 7 batteries sont livrées avant l'armistice en juin 1940 et une ou deux d'entre-elles participent aux combats de la cam- pagne de France.
Les canons moyens
Ainsi, pour l'armement principal antiaérien dans ce cali-
Les anciens modèles (58) restent toutefois en dotation avec l'apport de quelques progrès dans les accessoires de tir.
Parallèlement, la France s'intéresse à un nouveau matériel suédois, le 40mm Bofors, et l'adopte sous le nom de canon
de 40mm C.A. (59) modèle 1938 avec correcteur suédois. Peu après, l'établissement Précision Moderne fournit un correcteur français de sa fabrication pour ce canon.
Une seule batterie de ce type est livrée en mai 1940.
Les canons légers
Les mitrailleuses de 13,2mm complètent la panoplie dans cette gamme.(60)
Les moyens de conduite de tir
L'effort entrepris au début des années 30 s'intensifie dans le domaine du tir indirect. Le Poste Central de tir modèle 1935 développé pour le canon de 75 est adapté à la balis- tique du canon de 90mm. Il est adopté sous le nom de Poste central pour le tir contre avion, modèle 1940.
Des expériences de détection magnétiques sont menées après la découverte de ces moyens au cours d'une visite d'un centre d'expérimentation de la Royal Air Force en 1929 mais les exercices reposent essentiellement sur le guet. Une étude des moyens de conduite de tir électroniques est lancée par le Commandement des Transmissions en mars 1939.
Cylindre abaque
Hausse à abaque
Télémètre d'altitude
LES UNITÉS EN 1939-1940
Les sept régiments existants en 1939 sont répartis dans deux brigades :
Les 408ème et 409ème Régiment d'artillerie de DCA prévus d'être créés en octobre 1939 ne sont pas mis sur pied.
Outil né dans l'urgence en 1914, l'artillerie antiaérienne était, en 1918, un outil opérationnel d'une efficacité redou- table. Comme une autre subdivision de l'artillerie née aussi pendant la Grande Guerre « l'artillerie de tranchée, appui d'infanterie », les unités de DCA vont subir, dès le retour au temps de paix, les méfaits du déficit démographique, de l'inconsistance et de l'incohérence des programmes d'équi- pement, des guerres intestines et de l'absence de doctrine qui en découle. Une sous-estimation (inconsciente ?) des capaci- tés de l'ennemi a aggravé cette situation matérielle et morale.
En effet, bien que rattachés aux armées, les régiments d'artillerie de DCA sont chargés de la mobilisation des unités de la Défense aérienne du territoire, D.A.T., qui travaillent avec les escadrilles de chasse de la Direction de l'aviation. En 1939, le déficit des effectifs dans l'artillerie, en général, est de l'ordre de 30%. Il est de 40% dans les unités de DCA. Le système de mobilisation retenu pénalise donc gravement la DCA aux armées (la dérivation au profit de la D.A.T. se fait dans un coefficient de démultiplication de 1 à 5 environ, 1 batterie d'active dérive 5 batteries de D.A.T.).
Mais surtout, pendant les 15 premières années de l'après-guerre, outre des réorganisations nombreuses, l'artil-
lerie antiaérienne n'obtient que peu de crédits et subit l'incon- sistance et l'incohérence des programmes d'équipement. Ce n'est que dans les années 30 que les efforts budgétaires sont consentis. Là encore, selon un principe malheureusement re- devenu d'actualité (61), les efforts se concentrent sur la production des canons, organes principaux de la mission, oubliant les " accessoires " (Postes de tir, télémètres, trans- missions, munitions,...) dont l'importance est pourtant vitale dans ce système où détection, préparation sont les autres composantes du tripode sur lequel repose la réussite du tir et dont l'exécution n'est que la dernière composante. Il faut également signaler l'immense disparité du parc (20 modèles et calibres différents) et des munitions (grande variétés dans les fusées en particulier) avec les difficultés d'instruction, d'équi- pement, de maintenance et de gestion que cela implique.
A cela s'ajoutent les guerres intestines, en particulier les luttes d'influence entre l'armée et la jeune armée de l'air. Comme cette dernière craint que l'armée ne confisque à son usage exclusif les unités de D.A.T stationnées dans la zone des combats, il n'y a pas de commandement unique. Pour l'artillerie antiaérienne, la coordination des feux et de la manœuvre est donc un véritable casse-tête. Chacun va donc faire sa guerre dans son coin selon les schémas de la Grande Guerre : l'aviation sera, comme en 1918, les yeux de l'infante-
rie, elle-même appuyée par l'artillerie !
Pendant le même temps - entre 1919 et 1939 - la mena- ce, c'est-à-dire l'avion, a doublé ses capacités. La vitesse est passée de 40m/s environ à près de 100m/s. L'altitude maxi- male - plafond maximal - atteinte passe de 3000 à 6000m. Ces caractéristiques mettent l'avion hors d'atteinte de plus de 50% des moyens de l'artillerie antiaérienne française. Les conséquences sont connues (62).
Après le réarmement d'ANFA en 1943, l'artillerie antiaérienne française retrouve ses aptitudes du début du XXè siècle. Depuis lors, elle n'aura de cesse de suivre et, si possible, de devancer les évolutions de la menace. Ainsi, au cours de la seconde moitié du XXè siècle, la mise en service de l'avion à réaction dans les armées de l'air a conduit l'artillerie antiaérienne spécialisée à recourir au missile comme vecteur de ses munitions, laissant l'usage du canon antiaérien aux troupes de manœuvre pour leur autodéfense. Mais ceci est une autre histoire !
Lieutenant-colonel (CR) Pierre SAINT-POL
CARACTÉRISTIQUES DE QUELQUES MATÉRIELS ANTIAÉRIENS EN SERVICE EN 1940
Poids total | Champ de tir | Longueur du Tube |
Vitesse initiale | ||
Horizontal | Vertical | ||||
Mitrailleuse l3,2 Mle 30 | 360° | 880 m/s | |||
Canon 25 Mle 38 | 1 100 kg | 360° | 5 à 78° | 900 m/s | |
Canon 25 Mle 39 | 1 150 kg | 360° | 3 à 90° | 900 m/s | |
Canon 40 Bofors | 2 500 kg | 360° | 5 à 90° | 2,40 m | 875 m/s |
Canon 75 Mle 32 | 5 330 kg | 360° | 5 à 70° | 4 m | 700 m/s |
Canon 75Mle 17/34 | 4 800 kg | 360° | 0 à 63° | 4 m | 700 m/s |
Canon 90 Mle 39 | 8 455 kg | 360° | 10 à 80° | 4,50 m | 820 m/s |
Poids de la Cartouche |
Poids de L'obus |
Plafond pratique |
Portée | Cadence de tir (coups/mn) |
|
Mitrailleuse l3,2 Mle 30 | 450 | ||||
Canon 25 Mle 38 | 0,700 kg | 0,250 kg | 2 500 m | 7 500 m | 250 |
Canon 25 Mle 39 | 0,700 kg | 0,250 kg | 2 500 m | 7 500 m | 300 |
Canon 40 Bofors | 2,120 kg | 0,890 kg | 1 500 m | 3 200 m | 120 |
Canon 75 Mle 32 | 10 kg | 6,070 kg | 7 200 m | 13 000 m | 16 |
Canon 75 Mle 17/34 | 10 kg | 6,070 kg | 7 200 m | 13 000 m | 16 |
Canon 90 Mle 39 | 20 kg | 11,200 kg | 9 000 m | 17 450 m | 12 |
Possibilités de pointage des matériels de DCA
Capitaine P. RENAUD, "Revue d'Artillerie" 1935
« Les matériels de DCA (pièces et appareils de condui- te de tir) doivent suivre des objectifs présentant de fortes vitesses angulaires ; leurs dispositifs de pointage en azi- mut et en site doivent donc posséder des vitesses angu- laires suffisantes pour permettre le pointage dans des conditions satisfaisantes. Les possibilités ne sont pas illimitées et il subsiste toujours une certaine portion de l'espace dans laquelle le tir est impossible, par suite des limitations des vitesses angulaires (des matériels). »
Par une démonstration mathématique basée sur une vitesse linéaire de l'avion de 100 m/s (360km/h) et une altitude de 1500m, l'auteur montre que les contraintes liées aux capacités techniques des pièces et appareils aboutissent à une zone de tir impossible de la forme suivante :
Direction d'approche de l'avion |
Si on tient compte de toutes les directions d'approche possibles en faisant pivoter le "trèfle", le volume mort total est contenu dans un cylindre de 2,5km de diamètre...
« Nous avons envisagé ici uniquement le volume mort dans lequel le pointage est impossible par suite des vitesses angulaires limitées permises par le matériel. Il faut remarquer que l'avion perdu à son entrée dans le volume mort doit être repris à la sortie par une manœuvre analogue à une désignation d'objectif, il en résulte un temps mort difficile à chiffrer. »
« Les règlements de DCA indiquent pour les matériels de 75mm actuellement en service un cylindre mort de l.000m de rayon. Nous avons vu plus haut que le volume mort dépend non seulement du matériel mais aussi de l'avion. Or, actuellement la vitesse de 50m/s (base de calcul du règlement) est largement dépassée. »
« Les constructeurs de matériels de DCA doivent donc, s'il veulent éviter des limitations inadmissibles de la zone d'action de leur matériel, calculer pour ces derniers des vitesses angulaires de rotation en azimuth et en site ne laissant subsister pour des vitesses d'avions de 100m/s que des volumes morts acceptables. »
Puissance de l'artillerie de DCA.
Capitaine R. CHAUVIN, "Revue d'Artillerie" 1938
Dans le cas particulier de l'artillerie de DCA, qui exécute un tir uniquement préparé sur objectifs de petites dimensions, la précision est un facteur essentiel de la puissance. Elle est étroitement liée à la réduction du vecteur d'extrapolation.
L'étude de la puissance de l'artillerie de D.C.A. est un problème complexe. Nous ne l'envisageons, dans ce qui suit, que du point de vue de la bouche à feu. Le problème se pose alors dans ces termes : Comment l'efficacité du projectile, l'étendue de la zone d'action et la réduction du vecteur d'extrapolation dépendent-elles du calibre et de la vitesse initiale ?
a - Efficacité du projectile
Le projectile est tiré fusant. Son efficacité a pour mesure l'étendue de la zone dangereuse des éclats. Dans ce cas, c'est un volume. Elle est, toutes choses étant égales par ailleurs, proportionnelle au cube du calibre. Dans le cas d'un tir à terre, la zone dangereuse du même obus est mesurée par la surface battue par ses éclats. Elle est donc proportionnelle seulement au carré du calibre. En augmentant le calibre de son matériel, l'artilleur de DCA fait une meilleure affaire que l'artilleur terrestre.
La vitesse initiale ne semble pas compromettre l'efficacité du projectile. Si l'augmentation de vitesse initiale conduit à un projectile plus solide (parois plus épaisses donc plus petit nombre d'éclats) la raréfaction de l'atmosphère avec l'altitude permet aux éclats de parcourir des distances plus grandes.
b - Étendue de la zone d'action du matériel
Si on tire à la même vitesse initiale deux projectiles géométriquement semblable, on sait que leurs coefficients balistiques (coefficient qui rend compte, entre autres choses, de la qualité de pénétration du projectile dans l'air ; plus il est petit, plus l'aérodynamisme du projectile est grand) sont dans le rapport inverse des calibres.
Le projectile de gros calibre va plus haut et plus loin... Il n'est donc pas très intéressant d'augmenter la vitesse initiale d'un obus de petit calibre.
c - Réduction du vecteur d'extrapolation
Les artilleurs de D.C.A. savent tous l'intérêt primordial qui s'attache à la réduction du vecteur d'extrapolation. (en effet, le vecteur d'extrapolation est la distance parcourue par l'avion-cible pendant le temps de déplacement de l'obus. Il faut donc, comme à la chasse au lapin, tirer " en avant " de la cible d'un décalage égal au vecteur d'extrapolation. L'augmentation de la vitesse initiale réduit le temps de "vol" et par là, le vecteur d'extrapolation).
Il faut donc une grande vitesse initiale avec le plus petit coefficient balistique possible... Là encore le gros calibre est une source de bénéfices pour des distances moyennes de tir de 6 à 8km. »
L'auteur conclut ainsi :
« On peut admettre par exemple que les gros calibres commencent à :
Il serait absurde de dédaigner l'artillerie antiaérienne en service ; son efficacité est appréciable et cette artillerie a, suivant l'expression commune, l'immense mérite d'exister. Mais ce serait une grave erreur de considérer l'artillerie de DCA comme de l'artillerie légère. L'artillerie antiaérienne est de l'artillerie lourde. »