Dernières Nouvelles d'Alsace du Mardi 27 Mai 2008
Orbey / « Opération souvenir il y a 40 ans »
Au Linge, l’autre mai 68
Parsemé d’ordures, mangé par la végétation, le site est totalement abandonné en mai 68. Poussé par l’historien Armand Durlewanger, un cinquantaine de jeunes Colmariens décident de restaurer l’endroit.
«
Ici les 25 juillet et 25 août 1968 ont été exhumés trois soldats français inconnus tombés en 1915 ». Au collet du Linge ces grandes croix commémoratives sont plan- tées tout le long du circuit et rappellent incidemment l’opé- ration qui fut entreprise il y a 40 ans sur ce site historique.
A cette époque, le Linge n’est qu’une inextricable jun- gle. La nature a repris ses droits dès la fin de la Grande Guerre et plus personne ne s’est préoccupé de ce replat posé entre le Lingekopf et le Schratzmäelé. Armand Durle- wanger se promène régulière- ment dans cette forêt. « A l’emplacement actuel du mu- sée se trouvait une décharge
Norbert Fleckinger et Armand Durlewanger, chevilles ouvrières de l’opération souvenir au Linge en mai 68
(Photo DNA – Chistian Motsch)
publique », se souvient l’histo- rien écrivain. «
Les gens venaient y vidanger leur voiture. Ça me révoltait. Un jour j’en parle avec le général de Boissieu qui commandait la 7ème division mécanisée en Alsace. Il me répond : "si les civils bougent, je vous donne un coup de main ! " ».
« A leur frais et sans aucune aide »
Armand Durlewanger prend son bâton de pèlerin et part à la recherche de bonnes volon- tés qu’il trouve à l’auberge de jeunesse de Colmar. Une cinquantaine de lycéens et de collégiens passionnés pour le
projet baptisé «
opération sou- venir ». Elle démarre en mai 1968. «
Avec l’aide des famil- les et des enseignants du se- condaire, ces jeunes vont y consacrer tous leurs jeudis, les weekends et leurs vacances, à leur frais et sans aucune aide ». L’auberge de jeunesse fournit le matériel (pelles pio- ches scies haches …), la nourriture et s’occupe du transport.
Les bénévoles s’attaquent à la forêt, débroussaillent, déblaient tranchées et blockhaus et sont bientôt rejoints par les adultes. Les médias locaux s’intéres- sent à l’affaire. «
Ce fut un vé- ritable effet boule de neige ! » se souvient Armand Durle- wanger. «
les fouilles atti- raient de plus en plus de visiteurs et donc de volon- taires ».
L’hommage du général de Vernejoul
Comme promis l’armée s’as- socie à l’opération. Les Dia- bles rouges du 152 RI, les aviateurs de la BA 132, les
Une vingtaine de corps seront exhumés durant le printemps et l’été 68.
chasseurs de Lunéville et sur- tout les sapeurs (et leurs en- gins) du 9ème régiment du gé-
nie de Volgelsheim viennent en renfort.
Chose impensable aujour- d’ hui, les bénévoles sans aucune autorisation. « De Boissieu m’avait dit : "Leclerc a pris Strasbourg sans l’autorisation de personne. Faites comme lui, foncez" ». A la fin de l’été 68, le champ de bataille est restauré dans son état de 1918. « Le plus bel hommage leur sera rendu en juillet 1968 par le général de Vernejoul ». L’ancien com- mandant de la 5ème DB en 1939/45 félicite les jeunes bénévoles. « Le Linge était littéralement abandonné par- mi la plus dense des végé- tations et parsemé d’ordures répugnantes. Il vient de re- trouver son caractère de site historique et de lieu de pèle- rinage ».
Aucune fouille n’a été depuis entreprise. Et pourtant Armand Durlewanger pense que la contre pente allemande « truffée de tunnels et de souterrains » mériterait qu’on s’y intéresse. Mais à 82 ans le Colmarien a déjà donné !
Nicolas Roquejeoffre
« A l’affût de la découverte »
Huguette Schaller, qui avait 14 ans en 1968 : «
Mon père qui était agent SNCF, avait été incorporé de force en 39/45 et il a toujours eu de l’intérêt pour la Grande Guerre. C’est lui qui m’a conduite au Linge en 1968. On y allait le samedi et on nettoyait le site. Mon père a trouvé l’alliance d’un Prussien. Moi, je me rappelle avoir découvert des épaulet- tes, des boutons, des flacons, des boites de conserve, une baïonnette. On a travaillé dans la bonne humeur, à l’affut de la découverte. J’ai été très marquée par décou- verte des restes de soldats. Je me rappelle notamment ce tibia planté dans une chaus- sure ! »
Roger Scharf, qui tient un salon de coiffure à Colmar : « J’avais 15 ans à l’époque. C’est mon père, photographe de la préfecture, qui m’a amené là-haut. J’en garde un très bon souvenir. On n’a peut être pas pris conscience du
Huguette Schaller :
« On avait trouvé trois soldats au Glasborn. On avait sorti un os de bassin ! Je me rappelle surtout de ce tibia planté dans une chaussure...»
(Photo DNA Nicolas Pinot)
danger de l’opération car cer- tains ont déterré des grenades qui auraient pu exploser. Je me souviens que certains cam- paient sur place. Au départ le site n’était que ronces, éboulis et on devinait à peine l’actuel circuit ! »
« On avait presque
le sentiment de côtoyer
ces jeunes »
Claudine Wendling-Brickert, proviseure du lycée Kœberlé à Sélestat : «
M. Durlewanger a toujours eu un sens aigu de l’histoire et cette période lui tenait particulière- ment à cœur. On entendait parler de ce passé par nos parents et nos grands-parents mais une fois là-haut on avait presque le sentiment de cô- toyer ces jeunes et de sentir les moments difficiles qu’ils ont connus. On avait l’impres- sion que la tâche serait insur- montable. On a retrouvé pas mal d’effets personnels mais à la fin ça finissait par avoir un côté un peu morbide ».
Michel Muller, principal du collège de Munster : «
Armand Durlewanger était venu en début d’année à l’auberge de jeunesse pour une conférence sur le Linge. Certains comme moi on été intéressés et on a démarré le débroussaillage au printemps. Le site était envahi par la végétation. Il y avait des arbres et des barbelés un peu partout. On a réussi à dégager les tranchées. Je me souviens de la venue d’anciens combat- tants dont un Allemand, un mineur de fond, qui a pleuré devant nous ».
« On a travaillé dans la bonne humeur, à l’affut de la découverte.»
Hubert Durlewanger, 7 ans en mai 1968 : «
Dans la famille on a toujours été inté- ressés par les vieilles pierres et souvent on crapahutait en forêt. Quand mon père allait au Linge il était en rage de voir ce champ de bataille laissé à l’abandon. L’ambian- ce était géniale. On voulait tous remettre ce site en état. Je me souviens d’avoir retrouvé de nombreuses cartouches quelques fois plantées dans des troncs d’arbres ».